Article publié en septembre 2024

L’assurance de demain selon Loredena Maïer

Expertise secteur assurantiel
Temps de lecture : 3min
Souvent cité comme l'un des meilleurs au monde en raison de son caractère universel et de la qualité des soins, le modèle de santé français est au bord du gouffre. La Directrice générale de l’UNMI livre un regard critique sur l’avenir de l’assurance.

Les cotisations des complémentaires santé ont flambé en 2023. Quelle est votre analyse du marché au regard du contexte actuel ?

Les chiffres l’attestent : après une hausse de plus de 7% en 2023, les cotisations des complémentaires santé devraient en effet augmenter en moyenne de 8,1% en 2024 pour couvrir les dépenses de santé qui sont elles-mêmes en hausse. Le marché réagit face à une demande croissante d’assurés qui, en raison du contexte inflationniste et de la baisse du pouvoir d’achat, cherchent à se couvrir le mieux possible mais à moindre coût.

 

Tendons-nous vers une sortie progressive du contrat dit « responsable » ?

Rappelons au préalable que l’instauration en 2015 des contrats dits « responsables » visait à responsabiliser les assurés quant à la prise en charge de leurs dépenses de santé. Le dispositif devait inciter les assureurs à proposer des offres complètes et suffisamment couvrantes sur tous les postes de soins (soins courants, hospitalisation, optique, dentaire, aides auditives) et permettre de lutter contre la dérive des prix par la fixation de plafonds maximums. Or, que constatons-nous aujourd’hui ? Les différentes réformes, et notamment celle du 100% santé, ont fortement impacté les équilibres techniques de ces contrats qui sont aujourd’hui déficitaires.

L’impact de ces réformes successives ayant été mal anticipé, nous faisons face aujourd’hui à des revalorisations de cotisations importantes. L’augmentation des tarifs des mutuelles permet de continuer à couvrir les dépenses de santé des adhérents tout en garantissant un reste à charge le plus faible d’Europe. Pour absorber ces dépenses et assurer leur équilibre financier, ces dernières n’ont pas d’autres solutions que d’augmenter leurs cotisations. Hélas, les prévisions ne sont pas bonnes. Je crains que les dérives des dépenses de santé, estimées entre 6 et 8% pour l’année 2024, affectent les augmentations tarifaires des complémentaires en 2025. Malheureusement, c’est le portefeuille des Français qui est directement touché et cela pose ouvertement la question du renoncement aux soins. Ce système est-il encore tenable ? Quelles alternatives proposer face à des offres, en contrat individuel, devenues trop chères pour une population dont le pouvoir d’achat est en baisse constante ?

 

Le 100% santé répond-il à la question du renoncement aux soins ?

En 2020, 4,4% de la population déclarait avoir renoncé à un examen ou à un traitement médical dont 2% pour raison financière. Je pense effectivement que le 100% santé répond à cette problématique. Mais l’enjeu aujourd’hui est de parvenir à un équilibre entre les besoins des assurés et le comportement des professionnels de santé. Trop de dérives sont constatées dans le cadre du 100% santé, notamment dans les secteurs du dentaire et de l’optique. Des contrôles doivent être renforcés pour contrer ces abus mais cela constitue une charge financière supplémentaire pour les complémentaires santé qui doivent se doter d’outils spécifiques et de compétences pour lutter contre la fraude. Les réseaux de soins ont également un rôle à jouer afin de mieux maîtriser la consommation sur ces postes-là et bien sûr l’assurance maladie obligatoire doit également prendre sa part. En résumé, c’est un travail collectif à mener.

 

En 2023, des distributeurs se sont mis à commercialiser des contrats non responsables en réponse à la demande des assurés. Cette tendance annonce-t-elle l’arrivée d’une complémentaire santé modulable ?

Dans le cadre des contrats responsables, les assureurs et les distributeurs ont peu de marges de manœuvre. Certes, ils bénéficient d’une fiscalité plus avantageuse de 13,27% au lieu de 20,27% pour les contrats non responsables mais cette taxation se répercute in fine sur les assurés via une hausse des cotisations. Je constate que la part des contrats responsables sur l’ensemble du marché a baissé entre 2020 et 2022 : 4% en 2020, 3,7% en 2021, 3,4% en 2022. Cette tendance baissière reste à confirmer. Mais en 2023, nous avons assisté à l’arrivée sur le marché de nouvelles offres « non responsables » portées par des courtiers grossistes qui avant refusaient de distribuer ces contrats. Il y a aujourd’hui une demande croissante de la part d’assurés qui ne sont pas (ou plus) prêts à payer le prix des contrats responsables.

 

Allons-nous vers une médecine à deux vitesses ?

Oui je le pense, à l’image du modèle anglo-saxon où les plus aisés peuvent se soigner mieux et rapidement car ils en ont les moyens. Nous n’avons pas pu intégrer les effets du 100% santé sans impact tarifaire et nous devrons aller plus loin pour rétablir nos équilibres techniques. C’est pourquoi je pense qu’à l’avenir seules les personnes les plus aisées pourront bénéficier de garanties  « non couvertes », comme les garanties « bien-être » ou les soins de confort qui sont aujourd’hui considérées comme standard mais qui sont en réalité très coûteuses. Les moins aisés bénéficieront pour leur part d’offres « low-cost » avec des garanties particulières qui n’intègreront pas les paniers de soin. Dans cette configuration, nous nous orientons clairement et rapidement vers une santé à deux vitesses.

 

Peut-on encore dire que système de santé français est l’un des meilleurs au monde ?

Le modèle français tel qu’il était avant toutes ces réformes était un bon modèle car il répondait au besoin sociétal de couverture. Les complémentaires santé intervenaient en complément d’une assurance maladie qui jouait pleinement son rôle. Ce système a été mis à mal par les réformes successives de l’assurance santé. Le projet de Grande Sécu initié en 2021 par Olivier Véran, alors ministre des Solidarités et de la Santé ? Il a été enterré alors qu’il prévoyait de faire payer l'intégralité des frais de santé par l'Assurance Maladie. Au contraire, en 2022, 2023 et 2024, il n’y a jamais eu autant de transferts de charge de l’Assurance Maladie vers les mutuelles…

Toutefois, je terminerai sur une note positive : le marché essaie de trouver par lui-même des réponses alternatives à la crise que nous traversons. Les acteurs de l’assurance ont pris conscience de la situation et refusent désormais un développement à n’importe quel prix. Les hausses tarifaires en santé et en prévoyance sont désormais appliquées unanimement et je me réjouis que cette autorégulation du marché soit portée par des acteurs désireux d’agir et d’avancer ensemble.

 

Sources

+ 8,1% en moyenne pour les cotisations des mutuelles: une augmentation qui suit l’évolution globale des dépenses de santé - La Mutualité Française (mutualite.fr)

Rapport 2023 sur la situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé | Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (solidarites-sante.gouv.fr)

Loi de financement de la Sécurité sociale 2024 : quels impacts sur les mutuelles ? | MNSPF

La mesure du renoncement aux soins est très sensible à la formulation des questions - Suivi dans le temps et impact de la formulation des questions sur la mesure du renoncement aux soins | Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (solidarites-sante.gouv.fr)

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