Economie Sociale et Solidaire : rencontre avec Antoine Détourné délégué générale d'ESS France
Quelles sont les grandes orientations qui guident ESS France depuis votre arrivée il y a bientôt deux ans ?
Antoine Détourné : Je suis arrivé à ESS France en pleine pandémie, à un moment où l’on s’apercevait que partout l’ESS était utile, particulièrement quand les chaînes de valeurs sont en train de s’interrompre empêchant le monde de fonctionner correctement. Des réseaux se sont organisés ici et là pour apporter des réponses à la place de ce qui ne fonctionnait plus, ce qui a valorisé l’ESS. Mais nous nous sommes également aperçus que nos organisations ne rentraient pas dans le cadre des dispositifs de soutien. Aussi, une de nos priorités est de faire en sorte que l’ESS soit mieux organisée pour être mieux valorisée et prendre une plus juste place. La question du territoire est également déterminante car nos organisations sont par essence ancrées dans les territoires. C’est pourquoi les moyens accordés au développement de l’ESS doivent être territoriaux. Ces grandes orientations sont portées par la gouvernance d’ESS France et notre Président Jérôme Saddier.
L’ESS regroupe historiquement les mutuelles, les coopératives, les associations et les fondations, et depuis la loi relative à l’économie sociale et solidaire de 2014, les sociétés commerciales. En quoi ces structures se retrouvent-elles sur une communauté de valeurs ?
A.D. : Ces structures ont un trait distinctif : elles ont toutes un projet d’utilité sociale ou qui correspond à la poursuite d’un intérêt collectif. En quelque sorte, elles ont une dimension très politique mais pas uniquement au sens militant, et c’est en cela qu’elles veulent traiter des problèmes de société. Les deux principes de gestion de l’ESS que sont la gouvernance démocratique (sur le principe d’1 personne = 1 voix) et le principe de non lucrativité ou de lucrativité limitée sont ses cadres d’action. Et ce modèle ne peut fonctionner que dans le cadre de collectifs de personnes. C’est pourquoi ce sont avant tout des sociétés de personnes avant d’être des sociétés de capitaux.
L’ESS se veut une autre façon d’entreprendre. En quoi le modèle entrepreneurial mutualiste constitue-t-il également un modèle de développement et d’avenir ?
A.D. : Le champ mutualiste est un acteur majeur et historique de l’ESS. Du fait du nombre de personnes protégées et du nombre de salariés employés, le poids des mutuelles dans l’ESS est important. Certes le secteur a connu une forte concentration ces dernières années avec la création de grands groupes mutualistes mais les dirigeants mutualistes sont des dirigeants désintéressés qui ont pour projet d’action la protection des personnes. Cela les conduit à innover et à inventer de nouvelles choses. Ce sont les mutuelles par exemple qui ont été à l’origine des maisons de santé, dans le cadre de la lutte contre les déserts médicaux. Elles ont cette tendance à adresser un certain nombre de sujets qui sont tabous dans la société, comme ce fut le cas de la santé mentale pendant le confinement. Les mutuelles ont un mode d’entreprendre très innovant au service de l’intérêt général ce qui en font des acteurs pleinement partie prenante de l’ESS. Elles essaient aussi de trouver l’équilibre entre cette recherche d’utilité sociale et la performance écologique tout en étant fortement contraintes par la réglementation.
La crise sanitaire a révélé un souhait de construire un monde plus local, durable et solidaire. En matière de santé, c’est aussi répondre aux besoins d’une population de plus en plus vieillissante. Les mutuelles acteurs de l’ESS répondent-elles aujourd’hui suffisamment à ces enjeux ?
A.D. : Je pense qu’elles n’en ont aujourd’hui pas toujours les moyens car on ne leur fait pas suffisamment confiance. Pourtant le monde mutualiste, qui est celui de l’innovation non pas seulement dans les grandes idées mais aussi sur le terrain, teste et tente des choses. Mais les mutuelles sont encore trop perçues, par le monde politique notamment, comme un outil pour pallier les manquements de la Sécurité sociale. Souvent, on leur dénie leur caractère d’organisation entrepreneuriale en les réduisant à des filiales de la Sécurité sociale, ce qu’elles ne doivent surtout pas être, au risque d’y perdre leur originalité, et au final leur âme. Il est donc important que le pacte de confiance envers les mutuelles soit renouvelé, d’autant que les Français sont très nombreux à leur faire confiance pour se protéger face aux aléas de la vie. Le monde mutualiste s’interroge beaucoup, il n’est pas en recul, il a envie d’avancer, il se défend et il invente. Il est très connecté aux besoins de la société .
L’ESS, un modèle économique qui a le vent en poupe ?
A.D. : Oui, assurément et c’est pour cela qu’on en attend beaucoup. Ce modèle permet de se rattacher à un ensemble dynamique et porteur qui engendre des coopérations et innove toujours plus pour répondre aux grands enjeux sociétaux.
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