Concentration des mutuelles : rencontre avec Jean-Louis Span, président de la FDPM
Comment résistez-vous face au mouvement de concentration observé depuis les années 2000 ?
Jean-Louis Span : Je formulerai la question autrement : qu’est-ce qui pousse une mutuelle à rester sur son territoire ? C’est en premier lieu sa connaissance du territoire et celle de ses adhérents.Cela tient aussi à une équipe, qu’elle soit politique ou technique. Ces éléments font que le lien à l’adhérent est plus fort que la conquête en elle-même. Bien sûr, qui n’avance pas régresse, mais il reste à savoir de quelle manière avancer. Il peut arriver que certaines mutuelles trouvent à un moment leurs limites du fait de l’évolution de la population d’un territoire. Dès lors, on peut donc se demander comment présider ou diriger une équipe plus importante sinon en s’associant à un groupement plus important. C’est légitime. Mais qui dit absorption, dit souvent perte d’identité et, in fine, disparition. Ainsi, les mutuelles qui résistent à ce mouvement sont celles dont la dimension territoriale est fortement ancrée dans l’esprit de leurs dirigeants.
Quels services innovants à destination de vos mutuelles adhérentes et de leurs adhérents avez-vous développé pour vous adapter au marché et vous démarquer de la concurrence ?
J.-L. S. : A la sortie du confinement, nous avons créé une plateforme de soutien psychologique à destination des salariés et des adhérents de nos mutuelles. Cette idée aurait pu émerger il y a 2 ou 3 ans mais il nous a semblé que le besoin n’avait jamais été aussi prégnant qu’en cette période de crise sanitaire. Nous développons par ailleurs un nouveau service en direction des aidants, qui est une population en déshérence : 11 millions d’aidants familiaux dans notre pays, ce n’est pas rien et cela nous pousse à agir. Tous ces nouveaux services répondent à un réel besoin sociétal dans une logique d’innovation et propice à une nouvelle approche collaborative nécessaire en matière de santé. Nous ne sommes bien sûr pas les seuls à les développer et c’est tant mieux !
Les valeurs mutualistes d’hier sont-elles encore celles d’aujourd’hui ?
J.-L. S. : Je crois pouvoir dire sans me tromper que la concentration entraîne une dilution et disparition de la parole mutualiste. Mutualité rime avec solidarité : oui, cette solidarité existe plus que jamais dans nos territoires. Mais il faut l’organiser. Parce qu’aujourd’hui, force est de constater que toute réaction de solidarité ne relève plus du sursaut collectif. Cela ne veut pas dire pour autant que cette valeur soit devenue désuète : il faut simplement la remettre au goût du jour parce que la société a évolué. Quand on se déplace dans les territoires, on voit à quel point le besoin d’information, d’écoute et de soutien est criant. Les petites et moyennes mutuelles jouent ce rôle-là même si leur tâche s’est compliquée car elles se sont enfermées, ou plutôt on les a enfermées, dans une technicité qui s’est accrue. Autrefois, nous étions sur un mode de gestion qui était équivalent à la gestion d’une association. Aujourd’hui, les mutuelles sont devenues des entreprises. Mais si ce nouveau mode de fonctionnement introduit un peu de rigueur dans la gestion de nos structures, alors, oui, je l’assume à 200%.Quant à la liberté, autre valeur forte du mouvement mutualiste, elle doit répondre à un choix de pouvoir appartenir à un groupe librement choisi. Cette vision peut paraître idyllique mais quand elle est bien comprise, cela fonctionne. La santé a certes un coût mais elle ne se réduit pas à un prix. Souhaiter que la mutualité soit banalisée, c’est tout simplement donner raison aux chancres du marché, c’est-à-dire aux assureurs. Enfin, s’agissant de la valeur d’indépendance, je peux vous assurer qu’avant on ne se préoccupait pas de ce que pouvait décider le voisin mutualiste, les décisions étaient prises par la communauté d’adhérents de la mutuelle, en adéquation avec leurs besoins. On se sentait totalement indépendant. La concurrence existait mais elle était canalisée.
La sauvegarde des valeurs mutualistes représente-t-elle, selon vous, un atout concurrentiel ?
J.-L. S. : Assurément. Prenons un contre-exemple. En 2016, l’ANI a rendu le contrat collectif obligatoire. A mon sens, cette réforme a enlevé de la substance aux valeurs mutualistes notamment de solidarité et de liberté : le citoyen n’a plus le choix de sa complémentaire. Elle entache également le sens de la solidarité entre les générations. Nous cotisons tous à l’aune de nos dépenses à l’instant T. Mais d’un côté, nous avons une population de jeunes actifs qui bénéficient de contrats à « bon marché » avec des garanties optimales. Mais pour quels réels besoins ? En face, un autre silo, celui des personnes retraitées et vieillissantes qui, confrontées à des dépenses plus lourdes inhérentes à leur âge, vont devoir payer un maximum. Il n’y a pas meilleur moyen pour fabriquer de l’exclusion. Chaque citoyen doit pouvoir reprendre possession de sa santé et le système de solidarité entre les générations doit retrouver la place qu’il n’aurait jamais dû perdre. C’est pourquoi nous souhaitons le retour à des contrats individuels qui ouvrira un nouveau chapitre dans la liberté de choix et redonnera du souffle à toutes les mutuelles.
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